C’est tout le problème du forfait jours, il s'agit d'une formule tout compris. Comment traiter alors les déplacements des salariés lorsque ceux-ci se révèlent particulièrement long, sont-ils inclus nécessairement dans le forfait ? Le train pris le dimanche ou l’avion le soir font-ils partis du travail pour lequel le salarié s'est engagé, ou doivent-ils faire l’objet d’une compensation ? Peut-on refuser de partir en dehors de ses horaires de travail ? Quid si le salarié a peur en avion ? Quelques questions loin d’être anodines.
Un texte fait référence en la matière : l’article L. 3121-4 du Code du travail qui dispose que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, l’article précise que, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, ce temps de trajet exceptionnel fait l'objet d'une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière.
Les temps de trajets exceptionnels doivent donc être compensés, charge à l’employeur de déterminer comment. Afin de s'assurer que l'entreprise ne se limite pas à un bon d’achat pour la boutique duty free, le sujet peut faire l’objet d’un accord collectif.
Pour les salariés dont le temps de travail est comptabilisé en heures, notamment les cadres intégrés, appliquer l’article L. 3121-4 du Code du travail ne pose pas de difficulté d’appréciation, car leurs horaires sont nettement distincts de leur temps de trajet.
En revanche, le temps de travail pour les salariés au forfait jours, c’est un peu l’homme invisible. Il n'est pas comptabilisé, il n’existe pas, il n’a pas d’odeur, pas de consistance, on l’ignore, et quand il choisit de réapparaitre, c’est pour faire un mauvais tour à l’employeur. Alors calculer un temps de trajet pour des salariés sans temps de travail, on laisse les alchimistes du droit intervenir. S’agit-il de deux masses distinctes mais inexistantes juridiquement ? Ou au contraire, d’un tout sans identité légale. Ou quand le droit rejoint la physique quantique.
La loi étant silencieuse sur le sujet, il a bien fallu poser la question aux juges, et le moins que l’on puisse dire est que les différentes juridictions devant lesquelles la question a été posée ont donné des réponses diverses.
Plusieurs cours d’appel ont exclu l’application de cet article aux salariés en forfait jours, considérant que le forfait, du fait de ses spécificités, couvrait l’ensemble de temps de trajet et de travail (par exemple, la Cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 26 mars 2013).
Certaines juridictions considèrent néanmoins que les salariés au forfait jours devant réaliser exceptionnellement un temps de trajet anormalement long doivent bénéficier d’une compensation. La Cour d’appel de Paris a en effet jugé que les temps de trajet anormalement longs ne pouvaient être rémunérés comme du temps de travail (arrêt du 4 septembre 2018, n°17/01497). Il convient donc de compenser ces temps conformément aux règles de l’article L. 3121-4 du Code du travail, soit comme des temps de trajet exceptionnels.
La Cour d’appel de Paris se fonde sur le fait que le temps de travail, rémunéré par le salaire, et le temps de trajet exceptionnel, bénéficiant de compensations, ont deux régimes juridiques différents. Il n’est donc pas possible de prétendre que la rémunération couvre les temps de trajet exceptionnels. Aux termes de la loi, seule une compensation est possible. Ça se défend, et ça semblerait presque logique.
A notre connaissance, la question n’a pas encore été clairement tranchée aujourd’hui par la Cour de cassation.
Toujours la question à ce poser : qu'est-il écrit dans son contrat, la base de la relation de travail ?
En cas de litige, il convient dans un premier temps de vérifier si la clause de forfait jours prévoit que celui-ci englobe les temps de trajets exceptionnels. Si cela n’est pas prévu, il peut être avancé que les termes du contrat ne prévoyant pas de déplacements occasionnels, la rémunération fixée compense pas ces trajets. Le raisonnement sera plus délicat à appliquer pour les salariés dont les déplacements sont inhérents aux fonctions.
Concrètement, un salarié au forfait jours effectuant rarement des déplacements exceptionnels pourra prétendre à une compensation.
Parfois, il faut pousser la logique jusqu’au bout. Si les trajets font partie, cela signifie qu’il s’agit de temps de travail. Il faut donc les prendre en compte (ou plutôt les exclure) lorsque sont vérifiés les temps de repos quotidiens et hebdomadaires (dont bénéficient aussi les salariés au forfait jours). Et si le trajet a lieu un week-end, il faut logiquement décompter un jour. La balance n’est pas forcément à l’avantage de l’employeur.
Pour ce qui est du mode de transport, le Code du travail marque un franc désintérêt. Les conventions collectives, les accords d’entreprises, ou même des chartes internes, peuvent prévoir les conditions de déplacement. Il convient donc de s’y référer, étant précisé que le mode de transport ne doit pas conduire le salarié à assumer sur ses propres deniers une part du trajet.
En termes de confort, certaines conventions sont plus ou moins charitables avec les salariés. La convention Syntec prévoit par exemple uniquement un trajet en seconde classe.
L’excuse patronale du moment : "Pensons à l’environnement. Pour votre déplacement à Tombouctou, vous prendrez le bus plutôt que l’avion."
Question bonus : peut-on refuser un déplacement si l’on a peur de l’avion ?Rien d’irrationnel à avoir peur de l’avion. Pensons au principe, pendant quelques heures, nous confions littéralement notre existence à deux pilotes que nous ne connaissons ni d’Eve ni d’Adam, dans des avions fabriqués parfois par des entreprises dont la fiabilité est sujette à caution (surtout une récemment), et qui volent en appliquant des lois physiques que mêmes certains pilotes admettent ne pas comprendre. Alors, certes, statistiquement, il y a plus de chance de mal finir en voiture qu’en avion, mais tout de même, la fin dans le deuxième cas est beaucoup plus impressionnante. Théoriquement, si le déplacement s’inscrit dans les fonctions du salarié, il relève de ses obligations professionnelles. Qu’il soit occasionnel (se rendre à un salon international ou chez des clients) ou régulier (un chef de chantier nécessairement amené à se déplacer), il s’impose au salarié, et le refus peut constituer une faute. Il appartient ainsi au salarié de justifier son refus. Si celui-ci est lié à une peur panique de l’avion, fournir un certificat médical semble être la seule option pour justifier un refus de partir en voyage sans être sanctionné. |
Vous pouvez nous joindre au 01 87 66 96 92
sur notre adresse email contact@komite-avocats.fr
ou en remplissant le formulaire ci-dessous