L’affaire des congés payés est digne d’un film de super-héros. Cinquante suites, la plupart passables, un multivers, un reboot… Il aura fallu des décisions de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat, du Conseil Constitutionnel, et un psychodrame du patronat français (accorder des congés aux gens malades, quel scandale) pour qu’enfin la France mette sa législation en conformité avec le droit de l’Union européenne. Depuis le 24 avril, la DDADUE (pour loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne) donne un cadre législatif à l’acquisition de congés payés durant un arrêt de travail. On retiendra le nom rigolo de la loi, plus que le peu d’enthousiasme du gouvernement.
Sans revenir une énième fois sur la genèse du sujet, l’origine du drame vient d’une directive européenne imposant aux Etats membres de s’assurer que leur législation garantisse à chaque salarié au moins quatre semaines de congés payés par an. Il importe alors peu que les salariés soient ou non présents, le droit au repos étant considéré comme essentiel.
Une directive suppose une transposition en droit interne, c’est-à-dire l’adoption d’une règlementation par chacun des états membres permettant de faire appliquer les instructions européennes. Bien qu’historiquement précurseur sur le droit aux congés payés, la France a montré un désintérêt certain pour la question, la directive trainant depuis plus de vingt ans dans les tiroirs du Ministère du travail et a sûrement fini par caler le bureau d’un stagiaire.
La suite, tout le monde l’a vaguement entendue, la Cour de cassation a pris les choses en main, les salariés peuvent réclamer leurs congés pour tous les arrêts survenus depuis 2009, le patronat a hurlé que cette décision allait plonger l’économie française dans la faillite, plusieurs juridictions se sont à leur tour emparées du sujet, un astéroïde a frôlé la Terre (probablement à cause d’un astronome en congé à son retour d’arrêt), et le Gouvernement a fini par obtempérer.
Rappel : la Cour de cassation permet aux salariés de réclamer l’ensemble de leurs cinq semaines de congés pour tous les arrêts prescrits depuis 2009, soit jusqu’à cinq semaines par an. |
L’article 37 de cette loi au nom improbable vient réformer les articles du Code du travail relatifs aux congés payés (soit L. 3141-1 et suivants).
A compter du 24 avril 2024, les périodes d’arrêt de travail d’origine non-professionnelle permettront aux salariés d’acquérir deux jours de congés par mois, soit jusqu’à quatre semaines par an.
Un salarié présent (ou absent suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle) acquiert, lui, 2,5 jours par mois, soit cinq semaines par an.
Le point technique : Pourquoi cette différence ? L’Union Européenne ne garantit que quatre semaines de congés payés par an. La France dispose d’une législation plus favorable, en fixant un minimum de cinq semaines. Cependant, le droit d’acquisition des congés accordé aux salariés absents étant issu des règles européennes, la France n’est tenue que de respecter le minimum prévu par la directive, soit quatre semaines annuelles. Elle peut donc fixer une règle moins favorable. |
Les salariés disposeront de quinze mois à partir de la reprise de leur travail pour prendre leurs congés. Leur employeur devra cependant les avoir avertis du montant de leurs droits à congés payés pour qu’ils soient en mesure de les prendre.
Pour les absences de longues durées (plus d’un an), le délai de quinze mois partira à compter de la fin de la période d’acquisition des congés payés. Chaque année, le nombre de jours de congés est calculé du 1er juin au 31 mai. Un salarié absent depuis plus d’un an devra donc prendre ses congés dans les quinze mois suivant le 31 mai de l’année où ils ont été acquis. Si son absence se prolonge, les droits à congés acquis sur cette période seront perdus.
Parmi les excuses régulièrement invoquées par les employeurs pour ne pas appliquer la position de la Cour de cassation, le « il faut qu’une loi confirme la jurisprudence » figure dans le top 3. Bien que cette affirmation soit juridiquement fausse, vous pouvez désormais lui rétorquer que c’est chose faite. |
Contrairement à un arrêt de la Cour de cassation, une loi n’a pas d’effet rétroactif (comme l’expression ferait hurler les profs de droit, disons plutôt que la Cour de cassation donne l’interprétation du droit, elle vous dit donc comment une règle doit être appliquée depuis son entrée en vigueur).
Un salarié peut donc toujours se prévaloir des arrêts du 13 septembre 2023, et réclamer l’ensemble de ses congés acquis durant des arrêts de travail non professionnel depuis 2009.
Cependant, la loi est venue apporter quelques limites :
La loi ne remet ainsi pas en cause les droits acquis depuis 2009, ni les actions déjà introduites par certains salariés. Il n’y a plus qu’à attendre de voir ce qu’en penseront les juges prud’homaux.
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