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Intérêt collectif de la profession : la Cour de cassation se penche sur l’action syndicale

Côté salariés, l’union fait la force, côté patron, l’union fait les ennuis. Les obstacles sont nombreux pour le salarié voulant faire valoir ses droits, entre la peur du juge, le coût de l’action en justice, la pression sociale et patronale, le découragement face aux délais… Pour remédier à la difficulté, le Code du travail permet aux syndicats d’exercer une action au nom des salariés, aussi nommé en défense de l’intérêt collectif de la profession. Cependant, la Cour de cassation est venue préciser les contours de cette arme syndicale, limitant au passage sa portée pratique. Une décision à montrer à tout ceux qui vous assènent que les juges sont de dangereux gauchistes.

La défense de l’intérêt collectif : ou comment l'union syndicale fait la force des salariés !

Chacun choisit ou non d’agir en justice pour défendre ses droits. Un tiers ne peut ainsi effectuer une action à la place d’une personne pour protéger ses intérêts. Ce principe bien ancré est traduit par la formule « nul de plaide par procureur », en référence à l’officier chargé de défendre l’ordre public et l’intérêt commun lorsqu’une infraction est commise. Bien que n’étant pas victime lui-même, l’Etat, par le biais du Ministère Public, peut poursuivre les auteurs.

Par exception, et parce que certaines causes le justifient, les associations et les syndicats peuvent agir en justice au nom d’un intérêt commun, même s’ils ne sont pas directement touchés par l’atteinte aux droits faisant l’objet du procès. Chacun aura déjà entendu maintes fois aux informations qu’une association s’est portée partie civile dans un procès, cette intervention étant permise lorsque les statuts de ladite association défendent la cause qui sera débattue devant le Tribunal (droits de l’enfant, maltraitance animale, atteinte à l’environnement…).

En matière syndicale, l’article L. 2132-3 du Code du travail prévoit que les syndicats peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

L’objet d’un syndicat étant de défendre un groupe de salariés, ceux-ci ont donc un intérêt à agir lorsque les employés qu’il a vocation à défendre sont victimes d’une violation de leurs droits.

Les actions syndicales en réalité multiples

Le Code du travail prévoit en réalité plusieurs cas dans lesquels un syndicat peut agir au nom d’un salarié. Il existe ainsi des actions en cas de harcèlement moral, de licenciement économique, de non-application de la convention collective… Cependant, l’action en défense de l’intérêt collectif de la profession offre un champ d'intervention très large aux syndicats, puisqu'elle leur permet d'intervenir dès qu'une atteinte collective est constatée.

L’intérêt de l’action en défense de l’intérêt collectif de la profession

L’intérêt de l’article L. 2132-3 du Code du travail est qu’il permet théoriquement à un syndicat d’intervenir lorsque les droits des salariés qu’il a vocation à défendre ne sont pas respectés. Il faut cependant que les statuts du syndicats visent le groupe de salariés en question (un syndicat peut défendre les salariés d’une entreprise, d’une branche, ou même tous les travailleurs…).

La notion de défense de l’intérêt collectif implique également un préjudice collectif. Un syndicat ne peut ainsi agir lorsqu’un salarié a été licencié ou ne s’est pas fait payer certaines heures supplémentaires, un tel préjudice étant individuel. En revanche, si le licenciement s’inscrit dans une politique discriminatoire de l’entreprise, ou que celle-ci comment de nombreuses violations en matière de paiement des heures supplémentaires, le syndicat pourra agir.

Cette action pour défendre un intérêt collectif permet de compenser un déséquilibre manifeste entre salariés et employeurs. On le sait, prit individuellement, le rapport entre l’entreprise et son employé est manifestement inéquitable, le second ayant rarement les mêmes moyens que son donneur d’ordre pour agir en justice. Historiquement, la division des salariés était une des principales stratégies pour éviter les contestations, pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer les levées de boucliers qui interviennent outre atlantique dès qu’un syndicat tente de se constituer dans une multinationales (très portées sur l’humain, celles-ci indiquent généralement préférer le rapport de proximité individuel avec chacun de leurs milliers de salariés).

L’action des syndicats permet donc d’équilibrer, autant que faire se peut, le rapport de force.

Nul ne plaide par procureur, surtout pas les salariés !

La ligne de crète est ténue entre ce qui constitue un intérêt individuel et un intérêt collectif. Cette frontière non cartographiée constitue généralement le moyen de défense le plus sûr des employeurs lorsqu’un syndicat tente d’initier une action en intérêt collectif de la profession.

A quel moment est-ce qu’un manquement individuel répété peut-il constituer une violation collective ?  

Surtout, la question philosophico-juridique concerne la possibilité d’un syndicat d’agir au nom des salariés, sans demander leur accord. En bon défenseurs de libertés individuelles, le camp patronal ne se prive pas de rappeler qu’un syndicat ne peut forcer un salarié à obtenir la réparation d’un préjudice contre son gré.

Les limites posées par la Cour de cassation

A travers la question de ce qui constitue une atteinte collective se pose celle de ce qu’un syndicat peut demander. Faire reconnaitre que l’employeur à commis un manquement implique d’en obtenir la réparation pour les salariés concernés.

C’est donc l’intérêt (et la déception) de l’arrêt rendu le 22 novembre 2023 par la Cour de cassation (Pourvoi n° 22-14.807).

Celle-ci rappelle qu’un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou encore au regard du principe d'égalité de traitement.  Si un tel manquement est caractérisé, le juge peut enjoindre à l'employeur de mettre fin à l'avenir à l'irrégularité constatée, en prononçant des astreintes.

Le syndicat peut solliciter pour lui-même des dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, puisqu’il a vocation à représenter et défendre celle-ci.

Cependant, la Cour de cassation précise que le syndicat ne peut prétendre obtenir la condamnation de l'employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés. Cette action relève de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts.

Ainsi, si un manquement de l’employeur est démontré, le syndicat peut simplement lui demander de cesser celui-ci. En revanche, chaque salarié devra agir individuellement pour se faire indemniser. Si une inégalité de traitement est constatée, il appartient à chaque salarié de demander un rappel de salaire devant le Conseil de prud’hommes. Si l’employeur poursuit ses agissements illicites, il encourt au maximum le paiement d’une astreinte.

Certains objecteront que les détracteurs de cette décision ne sont jamais contents, puisque la Cour consacre la possibilité pour les syndicats d’agir de manière très large. C’est oublier qu’elle méconnait une contrainte réelle : tous les salariés ne feront pas forcément une action pour défendre leurs droits, permettant à l’employeur d’échapper à une indemnisation complète.

Elle limite ainsi le pouvoir contraignant des actions en justices menées par des syndicats pour le compte des salariés, et les empêche d’accomplir leur réelle finalité : permettre aux salariés d’obtenir réparation. On peut ainsi se demander combien d’entreprises préféreront payer une astreinte plutôt que de régulariser la situation de leurs employés. Le calcul risque parfois d’être tentant (cf l’entreprise préférant payer une amende plutôt que de se mettre aux normes). Les syndicats sont ainsi de véritables casques bleus, ils ont des armes, mais pas de munitions.

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