Difficile pour qui s’intéresse au monde du travail d’être passé à côté. De nombreux syndicats et avocats reprochaient à la France de ne pas être en conformité avec le droit européen concernant l’acquisition des congés payés lors d’un arrêt maladie, et ce, depuis une bonne vingtaine d’années. Jusqu’à maintenant, les gouvernements successifs regardaient, volontairement ou non, ailleurs, tandis que les salariés ne pouvaient se prévaloir des règles européennes face à leurs employeurs. C’était sans compter sur la Cour de cassation qui a décidé de prendre les choses en main ! Une bonne occasion de s’intéresser à l’influence des normes européennes sur les relations de travail.
Un petit rappel s’impose L’Union Européenne édicte des directives, qui sont des instructions données aux états membres sur l’orientation à donner à leurs législations. Les états membres sont libres de la manière de mettre en œuvre ces directives et doivent les transposer, c’est-à-dire adopter une loi ou une règlementation permettant de faire appliquer les principes que la directive cherche à garantir. La difficulté est que les directives ne sont pas directement opposables dans les litiges entre personnes privées. On parle ainsi d’absence d’effet direct. On distingue ainsi l’effet vertical, la relation Etat/citoyens, de l’effet horizontal, la relation entre les citoyens. |
Les directives ont uniquement un effet vertical. Lorsqu’une directive n’est pas appliquée par un état membre, ses ressortissants peuvent l’attaquer pour défaut de transposition. La cour d’appel de Versailles a par exemple condamné la France cet été pour non-transposition de la directive sur les congés payés.
Cependant, une directive n’a pas d’effet horizontal, c’est-à-dire qu’en principe, elle ne peut être invoquée dans un litige entre personnes privées. Comme il s’agit d’une obligation donnée aux états membres, elle ne peut contraindre les personnes privées. Seule la loi de transposition peut servir de fondement dans un litige entre citoyens d’un état membre.
En matière de congés, la directive européenne 2003/88 impose aux états membres de garantir a minima quatre semaines de congés payés aux salariés, sans distinguer ceux qui ont été ou non en arrêt de travail au cours de l’année. Les états doivent donc s’assurer que leurs lois internes respectent cette directive, ou, à défaut, les adapter.
Sur ce point, la législation française est en partie en contradiction, car l’article L. 3141-3 du Code du travail, le texte dans l’œil du cyclone, ne permet pas aux salariés en arrêt d’origine non professionnelle d’acquérir des congés payés. L’article prévoit en effet que les salariés acquièrent 2,5 jours de congés payés par mois de travail effectif au sein de l’entreprise. Or, les arrêts maladies d’origine non-professionnelle ne sont pas du temps de travail effectif.
L’article L. 3141-3 du Code du travail se trouvait donc en contradiction avec les règles européennes. Cependant, et même si la France était pointée du doigt pour ne pas avoir transposé correctement cette directive, la règle d’acquisition des congés n’était pas appliquée par les juridictions, les juges ne pouvant fonder une décision sur une directive non transposée (la fameuse absence d’effet horizontal).
Pas de quoi rebuter la Cour de cassation, qui a trouvé un moyen de contourner cette difficulté.
Les arrêts de Cour de Justice de l’Union Européenne portent un numéro semblable à celui d’une plaque d’immatriculation. Pour les retenir plus facilement, on utilise aussi le nom de leurs protagonistes. Un aspect à connaitre avant de saisir la Cour, votre patronyme pouvant être associé à une jurisprudence que des étudiants assez fous pour faire du droit apprendront pour leurs partiels.
Pour bien comprendre, dans notre affaire, deux règles s’imposent aux états qui adhèrent à l’Union Européenne :
La référence qui claque ! Dans ses arrêts du 13 septembre, la Cour de cassation s’est appuyée sur un arrêt du 6 novembre 2018, dénommé Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16). Dans celui-ci, la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé que lorsqu’une un juge ne pouvait interpréter la réglementation de son pays de manière à en assurer la conformité avec une règle fondamentale garantie par le droit européen, il devait laisser ladite réglementation nationale inappliquée. En effet, les juges doivent s’assurer que les principes européens sont bien respectés au sein des états membres. Il s’agit d’un engagement des états au titre de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. Concrètement, lorsqu’un juge constate qu’une loi interne contrevient à principe fondamental protégé par l’UE, il peut l’écarter. Rien ne vaut pour briller à la machine à café un : l’arrêt du 13 septembre n’est qu’une application logique de l’arrêt Bauer et Willmeroth et de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. Un sujet européen plus intéressant que les derniers exploits du PSG en ligue des champions. |
La Cour de cassation tient le raisonnement suivant : comme le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union européenne, et qu’il lui appartient de s’assurer du respect de ces principes sur le sol français, il ne lui est pas possible d’interpréter l’article L. 3141-3 du Code du travail d’une manière permettant de respecter les règles européennes.
Pour échapper à ce dilemme, la Cour a jugé que l’article L. 3141-3 devait donc en partie être écarté dans les litiges pour respecter les principes posés par l’Union Européenne.
Par conséquent, les employeurs ne pourront se prévaloir de ce texte qui limite l’acquisition de congés payés aux seules périodes assimilées à du temps de travail effectif, et écarter les arrêts de travail.
Le point est que la Cour de cassation donne uniquement une interprétation du droit, qui peut évoluer, et qui peut rencontrer des résistances des juridictions de première et deuxième instance. Son rôle est ainsi d’unifier l’interprétation du droit. Cependant, certains juges peuvent conserver leur liberté de pensée et opter pour des positions différentes. Dans la majorité des cas, leurs décisions finiront devant la Cour de cassation, qui rétablira alors sa propre position. Cependant, il arrive parfois que des juges pugnaces finissent par influer sur la position de la Cour, amenant à des revirements de jurisprudence.
Pour les arrêts du 13 septembre, il est un peu tôt pour savoir notamment s’ils seront confirmés. Il faut également voir si les juridictions du fond, et notamment les conseils de prud’hommes, les appliqueront. Au regard de leur retentissement, et du soin apporté à justification juridique par la Cour, il y a néanmoins de grandes chances qu’ils servent de référence devant les juridictions du premier degré.
En effet, au-delà du principe, la Cour de cassation a développé tout un argumentaire basé sur les textes européens, qui pourra être reproduit devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel.
En réalité, ils le sont déjà ! Les décisions de la Cour de cassation ne sont qu’une interprétation des règles existantes, et non de nouvelles règles. Elles sont donc rétroactives et applicables immédiatement et pour les situations antérieures.
Un des arrêts de la Cour de cassation précise que la prescription part à compter de la date à laquelle le salarié pouvait utiliser ses droits à congés, soit à compter de son retour d’arrêt de travail, sauf si l’employeur lui a indiqué avant qu’il générait des congés durant son arrêt. Le délai de trois ans pour réclamer les congés part ainsi en principe de la fin de l’arrêt maladie.
Cela implique que le salarié de retour de maladie peut solliciter des congés sur l’intégralité de son arrêt. Dans un des arrêts du 13 septembre, le demandeur a pu obtenir ses congés payés sur dix ans !
En principe, l’employeur est supposé régulariser de sa propre initiative la situation. Cependant, il est toujours prudent de solliciter la régularisation. Si l’employeur n’y procède pas de son propre chef, il sera nécessaire de saisir le Conseil de prud’hommes.
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