C’est un peu le problème à l’heure du clic instantané, que ce soit pour des conditions générales de vente ou pour son contrat de travail, on a tendance à passer un peu trop rapidement sur la myriade de petites lignes et de clauses en tout genre dissimulées. Ainsi, lorsque ce RH aux dents blanches vous a vendu le télétravail en vigueur dans l’entreprise pour vous appâter, vous n’avez pas fait attention à la petite clause de réversibilité cachée dans les vingt pages de contrats. Ce qui fut fâcheux lorsque le RH en question vous rappela son existence, juste après que veniez de signer le compromis pour votre nouveau foyer à la campagne…
"Je crois que tu vas devoir aller au bureau aujourd'hui..."
La clause de réversibilité est l’incarnation de l’entreprise qui ne veut pas s’engager pleinement dans une relation à distance. Son objet est de permettre aux parties (mais c’est en général surtout l’employeur qui l’active) de mettre un terme au télétravail et de faire revenir le salarié sur site.
La validité de ce type de mention fait forcément l’objet d’un débat entre juristes, puisqu’elle permet de modifier unilatéralement les conditions négociées d’exécution du contrat, et qu’elle permet donc à l’employeur de modifier unilatéralement le contrat de travail de ses salariés.
En principe, une clause du contrat ne peut permettre à l’employeur de modifier unilatéralement le contrat, sauf dans quelques rares et encadrées exception (type clause de mobilité ou clause de rémunération variable). Quid alors pour le télétravail ?
La Cour de cassation s’était déjà intéressée aux situations où le télétravail avait été autorisé, même tacitement, pour un salarié. Ce mode de travail est alors contractualisé, et demander au salarié de revenir sur site constitue une modification de son contrat de travail, que l’employeur ne peut imposer (Cour de cassation, arrêt du 13 février 2013, n°11-22.360). Une mention dans le contrat faisant référence au télétravail, ou un accord tacite sur le télétravail, vaut donc contractualisation et protège le télétravail.
Qu’en est-il cependant lorsque la mention s’accompagne d’une clause de réversibilité ?
Alors, valable ou pas valable ? Dur de se faire un avis, mais il faut admettre que les juges amenés à se prononcer sur le sujet n’ont pas eu l’air d’être choqués par le concept. La Cour d’appel de Versailles a ainsi eu l’occasion de juger qu’une telle clause permettait à l’employeur de faire revenir sur site ses salariés, et de prendre les mesures qu’il estime adaptées en cas de refus (dit sobrement, leur offrir la possibilité de rester définitivement chez eux et sans avoir à travailler pour l’entreprise). On pourra cependant regretter que l’analyse de la validité d’une telle clause soit un peu courte (arrêt du 1er février 2024, n°21/03122). La même Cour a néanmoins pu juger qu’une clause rédigée de manière imprécise était inopposable au salarié (arrêt du 29 juin 2023 n°21/00262). En l’occurrence, la clause se contentait d’un laconique « la décision de passer au télétravail est réversible au cours de l'exécution du présent contrat ». Un peu maigre il est vrai, mais la clarté de l’arrêt ne permet pas non plus de tirer de conclusions inattaquables.
La difficulté pour les salariés est donc que l’employeur dispose d’arguments pour imposer un retour, et surtout pouvant l’inciter à enclencher le siège éjectable pour les récalcitrants.
De l’importance des mots employés Un employeur avait autorisé un de ses salariés « à titre exceptionnel » de télétravailler. Pour faire revenir son salarié, il tentait de défendre que à titre exceptionnel signifiait temporairement. Les juges ont plutôt considéré qu’il s’agissait d’une exception au regard du reste de la société. Le retour sur site nécessitait donc son accord (CA Lyon, 10 sept. 2021, n°18/08845). |
La clause de retour peut être prévue non pas par les contrats de travail, mais par la norme collective organisant le télétravail dans l’entreprise. En effet, le télétravail peut être accordé non pas après une négociation individuelle entre le salarié et l’employeur, mais en application d’un accord ou d’une charte, faisant office de règle collective. Ces normes collectives peuvent-elles prévoir une clause de retour ?
C’est à craindre, puisque l’article L. 1222-9 du Code du travail les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail. Cela ouvre donc la possibilité de prévoir une réversibilité.
Le tableau peut paraitre assez triste, surtout lorsque l’on s’est habitué à un rythme à distance, que l’on a changé de vie ou que l'entreprise s'est convertie au flex-office. Il existe cependant des arguments pouvant être opposés.
Face à une difficulté, il faut parfois se réfugier derrière les grands principes, et notamment celui de l’exécution loyale du contrat. L’application loyale des clauses de réversibilité risque ainsi d’être un des arguments majeurs que les salariés vont pouvoir utiliser pour se défendre. Il faudra alors poser la bonne question : le retour du salarié se fait-il dans l’intérêt de l’entreprise, ou est-ce un moyen de pression sur le salarié. Une question pertinente alors que l’on observe une multiplication des cas où les salariés sont rappelés sur site sans réelle raison, si ce n’est les pousser à la faute afin de trouver un motif de licenciement. Les campagnes de rappels cachent ainsi parfois des licenciements économiques déguisés, ou, à tout du moins, un moyen pour faire partir des salariés dont la présence, dans l’entreprise ou sur site, n’est en réalité plus vraiment désirée.
Par exemple, dans une affaire où l'employeur ne produisait aucun élément relatif à l'organisation de l'activité de l'entreprise ni ne justifiait d'aucune difficulté qui serait survenue en raison du télétravail et où il n’établissait pas que la présence du salarié dans les locaux de l'entreprise avait pour objectif l'amélioration du fonctionnement du service, les juges ont considéré que la clause de réversibilité n’avait pas été mise en œuvre de façon loyale. A noter, dans cette affaire, les juges ont tenu compte également de l'ancienneté de la situation de télétravail, de l'éloignement géographique entre le domicile du salarié et l’entreprise, de la composition de sa famille, et du fait que la société n’avait demandé le regroupement de l’ensemble des salariés dans ses locaux (Cour d’appel de Paris, 23 juin 2021 n°18/13718).
La bonne foi étant présumée, il appartient au salarié de prouver la mauvaise foi de l’employeur. Pour cela, il faut établir un contexte, grâce à un faisceau d’indices. Parmi les bonnes questions à se poser : quelqu’un s’est-il déjà plaint de votre télétravail, votre employeur sait-il que vous avez déménagé à la campagne, tous les salariés sont-ils logés à la même enseigne, l’entreprise va-t-elle bien, votre équipe fonctionnerait-elle mieux si vous étiez présent…
La notion a été appliquée concernant les clauses de mobilité, un salarié pouvant refuser de respecter celle prévue à son contrat si son application risque de causer une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale. Une telle exception peut également justifier le refus d’appliquer la clause de réversibilité du télétravail. En pratique, la situation concernera les salariés aux prises à de graves difficultés, comme des parents de familles très nombreuses, de parents d’enfants atteints de handicap, des mères isolées… Des cas où un changement d’organisation risque de créer des difficultés d’organisation et de vie insurmontables. En revanche, le fait d’être confrontés aux aléas affectant tout parents, type aller chercher les enfants à l’école ou les faire garder après le sport, ne permet pas se prévaloir de cette exception.
Face à une opposition argumentée, l’employeur peut tout d’abord renoncer à sa demande, vous lâchant au passage un perfide « Tu peux dire adieu à tes tickets restos ! ». De toute façon, vous ne pourrez bientôt plus les utiliser à la supérette du coin… Votre employeur peut aussi passer en force, et, dans le pire des cas, vous convoquer à un entretien préalable.
Il existe alors un recours, qui donne des résultats divers en pratique. La section des référés du Conseil de prud’hommes peut en effet prescrire toute mesure permettant d’éviter la survenance d’un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Elle peut notamment imposer, sous astreintes, à l’employeur de renoncer à une modification unilatérale du contrat de travail d’un salarié.
Attention au chant des sirènes : les tentatives de séduction pour faire revenir les salariés Parce que certains ont compris que la manipulation et la corruption marchaient mieux que la violence, certains DRH rivalisent d’ingéniosité pour faire revenir de leur plein gré les salariés. Notre palmarès des stratégies les plus fourbes :
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