Qui mieux qu’un stagiaire pour enquêter sur les stagiaires ? A l’occasion de la journée mondiale des stagiaires, le stagiaire du cabinet Komitê se lance dans une quête initiatique pour espérer trouver le sens de son stage, son statut juridique, et son chèque cadeau de Noël. L’occasion pour lui d’en savoir plus sur lui-même, sur ses droits, et sur sa gratification.
Métaphore de l'utilité du temps consacré aux stagiaires
Le patron : Le 10 novembre, pour la journée mondiale du stagiaire, tu vas écrire un article dans la newsletter !
Le stagiaire : Mais c’est un dimanche !
Le patron : Tout un symbole ! Pas notre faute s’ils célèbrent votre travail un jour de repos.
Il y a donc bien une journée mondiale des stagiaires. A ceux qui voudraient recycler la blague selon laquelle les 364 autres journées sont celles du patron, si elle n’a déjà pas marché auprès de votre épouse lors de la journée mondiale de la femme, c’est qu’il y a bonne une raison. Inutile de s'obstiner.
Le problème de ces journées mondiales est qu’il y en a vraiment à toutes les sauces, ce qui désacralise un peu le concept. Quand j’avais parlé initialement de la journée mondiale qui m’était consacré, le patron m’avait d’abord demandé si je faisais référence à la journée mondiale du cornichon du 14 novembre… Celle-là, il l’avait notée.
Enfin, saisissons l’occasion. Nous voilà donc partis en quête d’un sujet, mais, heureusement, la quête sera courte. Les fêtes de Noël et leurs éternelles questions sur les ASC offrent un thème tout cuit : quel trésorier ne s’est pas déjà trouvé démuni face à un jeune et innocent stagiaire lui demandant, lui aussi, ses chèques cadeaux, ou même sa boite de chocolat. Gêné de voir que le requérant n’est pas sur la liste, et que personne n’a prévu ne serait-ce qu’une chaussette de Noël pour les jeunes pousses, le trésorier a souvent cette excuse : « Mais tu ne cotise pas ! ». Lorsqu’il se rend compte que le stagiaire a fait un peu de droit du travail, et c’est d’ailleurs la raison de sa présence, le trésorier a cette deuxième excuse : « Si on te le donne à toi, on le donne même aux stagiaires de 3e, et donc au fils du patron, ce petit insolent boutonneux qui ne manque pas une occasion de nous rappeler que c’est papa qui décide. Et là, c’est le feu au poudre ! Tu veux que ce soit le feu aux poudres ? ». Si ça peut me permettre d’acheter le dernier Assassin’s Creed, je l'allume moi-même… Plutôt que de répondre par la provocation, allons sur le terrain juridique.
Comment créer votre propre journée mondiale ? Il n’y a pas de statut légal, certaines sont patronnées par des institutions prestigieuses, type ONU ou UNESCO, d’autres sont créées à la fin d’une soirée arrosée et deviennent par la magie d’internet des évènements mondiaux. On pourra toujours tenter de soumettre à l’OIT la création d’une journée mondiale du CSE ? |
Et il a même un nom !
Preuve de l’importance du stagiaire, il est régi par non pas un, mais deux Codes : le Code du travail et le Code de l’éducation. A rappeler à ceux qui vous assène que même les animaux ont un statut. On va encore entendre des politiques dire que ça fait trop de papier, que c’est pas écolo, et que c’est trop lourd pour être lancé efficacement sur les jeunes recrues sans se faire une tendinite. Dans un tel cas, rappelez-leur qui les vote, ces lois !
Les études de droit durent cinq ans, et on en voit, des articles de lois, durant cinq ans. Pour s’en sortir, il faut sélectionner les plus importants. Au moment de commencer son stage, un étudiant standard en aura retenu deux :
En principe, donc, pas de débat. Tous les stagiaires bénéficient des ASC de la même manière que les salariés (et ne peuvent être mis à la porte par leurs parents).
Cependant, le CSE se retrouve confronté à une difficulté classique : le budget. Car si les stagiaires sont des bénéficiaires comme les autres salariés, si on leur demande des tâches ou des missions relevant généralement plus d’un salarié que d’un étudiant venu observer le vrai monde, leur rémunération, elle, est souvent bien celle d’un stagiaire, si tant est qu’ils aient une rémunération (on parle d’ailleurs de gratification). Or, et c’est tout le nœud du problème, le budget du CSE dépend généralement de la masse salariale. D’où une tentation de hiérarchisation, voir d’oubli, des stagiaires.
Droit fondamental du stagiaire n°123 : ne pas être obligé de rire aux blagues nulles du chef
Le stage est défini par l’article L. 124-1 du Code de l’éducation, qui explique que les stages correspondent à des périodes temporaires de mise en situation en milieu professionnel au cours desquelles l'élève ou l'étudiant acquiert des compétences professionnelles et met en œuvre les acquis de sa formation en vue d'obtenir un diplôme ou une certification et de favoriser son insertion professionnelle.
Le stagiaire doit donc être un élève, et le stage doit s’inscrire au sein de sa formation. Il n’est pas un salarié, et ses tâches se limitent en principe à effectuer en vrai ce qu’il a appris à l’école, cette mise en situation devant nécessairement être supervisée. Pas de stagiaire autonome, de stagiaire responsable des autres stagiaires, ou de stagiaire surnommé par la marque du photocopieur.
L’observateur aguerri distinguera cependant plusieurs sous-type de stagiaire, allant de l’oisillon faisant son stage de troisième à l’élève en dernier année d’étude effectuant un stage de six mois pour valider son diplôme. Entre les deux, les entreprises sont souvent fréquentées l’été par des stagiaires intermédiaires, présents pour une durée variable, généralement un ou deux mois. Sont-ils tous logés à la même enseigne ?
Sur le plan scientifique, la loi distingue deux types de stagiaires : le stagiarius universitatus et le stagiarius juvénilis acneus.
Seuls les stagiaires bénéficient des ASC, ce qui n’empêche pas d’inviter le stagiaire de 3e à la cantine.
Note aux parents : connaissiez-vous le stage de seconde ? Les anciens s’en rappellent, la seconde était cette année bénie, la dernière avant le tumulte des épreuves du bac, celle où les élèves étaient libérés de leurs obligations scolaires dès la fin du mois de mai pour aller manifester contre le CPE, soutenir la recherche en allant aux Solidays, ou tout simplement aller flâner dans le parc longeant le lycée. Tout cela est désormais terminé. Le Ministère de l’éducation a en effet prévu une « séquence d’observation en milieu professionnel » de deux semaines entre le 16 et le 25 juin 2025. Un nouveau type de stage à ajouter à la classification. |
Réponse intéressée : oui, et très cher !
« On ne vous paiera pas, mais on vous formera ! Et en plus, vous serez bien traité. » En entretien d’embauche, c’est typiquement le genre de phrase qui doit allumer les signaux d’alerte (les red flags comme disent les stagiaires). Plus juridiquement, la gratification des stagiaires n’est obligatoire que pour les stages supérieurs à deux mois.
L’article L. 124-6 du Code de l’éducation impose aussi le versement d’une gratification pour tout stage supérieur à deux mois consécutifs. Cependant, et parce qu’il y a des petits malins partout, l’article s’applique aussi lorsque, au cours d'une même année scolaire ou universitaire, le stage est supérieur à deux mois consécutifs ou non.
En 2024, pour les heureux élus, la gratification est égale au minimum à 4,35 euros de l’heure, et est en plus exonérée de charges sociales si ne dépasse pas ce montant. Cadeau supplémentaire, la gratification est exonérée d’impôt sur le revenu dans la limite du montant annuel du SMIC. De quoi payer le week-end pour aller fêter la fin des partiels. On le rappelle, cette humble gratification ne met pas fin à l'obligation alimentaire des parents à l'égard de leurs enfants (cf plus haut, obligation d'entretien des parents à l'égard de leurs enfants étudiants).
L’autre article à connaitre : D. 124-8 du Code de l’éducation. Celui-ci impose à l’employeur remboursement frais des stagiaires, indépendamment du versement d’une gratification. Les stagiaires peuvent ainsi demander une prise en charge de la moitié de leur abonnement pour les transports publics.
Ce régime avantageux n’est cependant pas sans conséquence pour le CSE.
On parlera ici du budget des œuvres sociales. Il n’y a pas vraiment de réponse à la question, car, la règle est que le montant de la subvention ASC est négocié. Il ne s’agit pas d’un pourcentage de la masse salariale comme pour le budget de fonctionnement.
Cependant, en pratique, nombreuses sont les entreprises où le budget des ASC est déterminé de la même manière que celui de fonctionnement, ou est fixé sous la forme d’une somme forfaitaire. Les gratification de stage étant des sommes exonérées de charges, elles ne sont pas inclues dans la masse salariale, et n’entrent alors pas dans le calcul. Et on ne parle pas des stagiaires de moins de deux mois, qui ne sont même pas gratifiés (la petite tape sur l’épaule à la fin du stage ne compte pas).
Deux constats s’imposent néanmoins aux CSE :
Les journaux s’étaient donnés à cœur joie de se moquer de certaines start-ups qui usaient et abusaient des stages. On y trouvait ainsi des stagiaires responsables des stagiaires, des stagiaires DirCom, des stagiaires DRH (et non pas un DRH stagiaire), le tout enrobé de titres honorifiques bourrés d’anglicismes (2IC, Intern In Chief). Blague à part, cette tentation de faire effectuer des tâches relevant de salariés à des internes touche en réalité tous les secteurs.
Le Code de l’éducation plafonne cependant le recours aux stages pour éviter ce type d’abus. Ainsi, l’article R. 124-10 du Code de l’éducation prévoit que dans les entreprises dont l'effectif est supérieur ou égal à vingt salariés, le nombre de stagiaires dont la convention de stage est en cours pendant une même semaine civile ne peut être supérieur à15 % de l'effectif arrondis à l'entier supérieur.
En outre, l’article L. 124-7 du Code du travail précise bien que le stage ne peut avoir pour objet d’exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent. On ne recrute pas un stagiaire pour faire face à un accroissement temporaire d’activité ou remplacer un salarié.
Cela n’interdit pas de responsabiliser un stagiaire, mais le stage doit rester dans son intérêt.
Dans ces cas-là, le CSE peut-il effectuer une alerte sociale ? Pas évident, le texte visant l’abus de contrat temporaires, ce qui ne correspond pas exactement à la définition d’un stage. Reste l’option passe partout de l’alerte pour atteinte aux droits des personnes.
Le Conseil de prud’hommes peut, lui, requalifier les conventions en contrat à durée indéterminée.
Avant de juger la couleur de la cravate, rappelez-vous la tête de votre premier costume !
La conclusion de l’histoire : n’oublions pas que le refus d’accorder la boite de chocolat de Noël pourra être le traumatisme menant un stagiaire vers une carrière de DRH sanguinaire (demandez au vôtre son trauma originel). Donner aux jeunes générations une bonne image du CSE vaut bien un petit goodies du comité (payé avec le budget ASC, cela va sans dire).
Vous pouvez nous joindre au 01 87 66 96 92
sur notre adresse email contact@komite-avocats.fr
ou en remplissant le formulaire ci-dessous