C’est la crise, il faut faire des économies et réinculquer aux français le sens de la « valeur travail" TM. Quand on n’a pas d’argent et pas d’idées non plus, on ressort les solutions prêtes à l’emploi qui rassemblent les foules : taper sur l’indemnisation des jours de carence, véritable prime à l’arrêt de travail. Sauf que, surprise, plusieurs de nos politiques semblent réfléchir à ne pas limiter la mesure aux seuls fonctionnaires. D’où la question : peut-on imposer un jour de carence d’ordre public aux salariés du privé.
La partie « Survie face au chaos budgétaire » du petit guide remis à chaque nouvel adhérent des Républicains prévoit trois solutions standards et non prouvées scientifiquement : dire que le travail coûte trop cher en France, critiquer les 35 heures, ou taper sur les fonctionnaires. Un ministre moustachu a directement ouvert à la page 3 en relançant un énième débat sur les arrêts de travail dans la fonction publique (et probablement quelques grèves). Argument classique, les travailleurs du privés, les « vrais bosseurs », ont trois jours de carence, eux.
Retour de bâton habituel : oui, mais, dans le privé, les conventions collectives et les mutuelles permettent généralement d’indemniser les premiers jours d’arrêt maladie.
Il n’en faut pas plus pour que certains syndicats patronaux et députés défenseurs de l’égalité proposent une idée lumineuse : imposant un délai de carence d’ordre public, pour les salariés et les fonctionnaires. Concrètement, interdire de prendre en charge les premiers jours d’arrêt, sous quelque forme que ce soit. C’est démontré, c’est carré : ne rien à donner à personne reste la manière la plus sure d’éviter les inégalités (ça marche aussi avec l’argent de poche de vos enfants).
Est-ce que cette lubie a une chance d’entrer un jour en vigueur, ou restera-t-elle au catalogue des propositions que nos Ministres ressortent dans la presse quand ils n’ont clairement pas une traitre idée de la manière de sauver notre pays ?
Le saviez-vous : non, les Français ne sont pas les champions d’Europe des arrêts. Comme au foot, ce sont les Allemands qui gagnent, avec une moyenne de 19 jours d’arrêt par an !
Pour bien comprendre le délai de carence, il faut comprendre d’où viennent les différentes indemnités versées aux salariés.
Un salarié ayant travaillé au moins 150 heures au cours des 3 mois civils ou des 90 jours précédant l'arrêt, ou ayant cotisé, au cours de ces 6 mois civils précédant l'arrêt, sur la base d'une rémunération au moins égale à 1 015 fois le montant du Smic, a le droit à des indemnités versées par la Sécurité Sociale, ou IJSS (indemnités journalières de sécurité sociale). Celles-ci représentent environ 50% du salaire journalier de référence du salarié absent. Pour obtenir ce salaire de référence, il faut diviser la somme des trois derniers salaires bruts perçus avant l'arrêt de travail par 91,25.
Les IJSS sont versées après un délai de carence de trois jours.
L’article L. 1226-1 du Code du travail prévoit le versement d’une indemnité complémentaire par l’employeur pour les salariés comptant au moins un an d’ancienneté. L’entreprise doit ainsi compléter la rémunération pour que le salarié perçoive au moins 90% de sa rémunération brute les trente premier jours, puis deux tiers les trente jours suivants (les durées évoluant en fonction de l’ancienneté). Ce maintien s’applique après un délai de carence de sept jours.
A noter, lorsque le salarié est victime d’un accident du travail, aucun délai de carence ne s’applique dès lors qu’il peut prétendre au versement des IJSS et du maintien de salaire.
Parce qu’il n’est pas interdit d’être moins disant, certaines conventions collectives et certaine entreprises appliquent un système de maintien de salaires plus favorable, prévoyant soit une prise en charge de la rémunération du salarié dès le premier jour d’absence, soit une prise en charge à hauteur de l’intégralité de la rémunération (ou même les deux). Concrètement, l’employeur (ou son organisme de prévoyance) prend en charge la totalité de la rémunération du salarié sur la première partie de l’arrêt.
Les politiques ne sont pas les seuls à s’intéresser au délai de carence universel, la Cour des comptes y pense aussi, mais sous un autre aspect. Pour répondre aux médecins qui réclament un allégement de leur charge de travail, et la Sécu pour qui toute économie est la bienvenue, la Cour a soumis l’idée d’une déclaration des arrêts courts par les salariés, à l’image de ce qui se fait en Angleterre.
Concrètement, plus besoin d’aller chez le médecin pour se faire arrêter pour un arrêt d’une journée ou deux, le salarié hors service serait cru sur parole. Pour faire face au risque d’abus qu’un tel système engendrerait, celui-ci irait de pair avec l’arrêt de l’indemnisation des premiers jours d’arrêts. Un salarié pourrait décider de s’arrêter sans aval du médecin, mais il assumerait une perte de rémunération. C’est donc une nouvelle logique qui serait mise en œuvre, moins de contraintes pour s’arrêter, mais en contrepartie une indemnisation moins avantageuse.
Dans la cacophonie régnant actuellement au parlement, dur de dire si cette idée aboutira sur une mesure concrète ou non. La question est de savoir si une loi peut interdire aux partenaires sociaux de prévoir des dispositions plus favorables aux salariés. Est-il ainsi possible d’interdire à un employeur d’accorder un avantage, ou aux négociateurs d’une convention collective de choisir d’indemniser un arrêt depuis le premier jour d’absence ? Les conventions et accords reposent en effet sur un équilibre, les concessions des syndicats patronaux sur les arrêts ayant pu servir de levier pour obtenir des concessions réciproques des syndicats salariés sur d’autres sujets. Réformer la convention par le haut mettra nécessaire à mal ce fragile équilibre.
Certaines lois interdisent des mesures favorables aux salariés, la plus connue étant l’interdiction des clauses d’indexation des salaires sur le SMIC. La raison peut paraitre légitime, puisqu’il s’agit de lutter contre l’inflation.
Une question qui se posera serait la conformité d’une loi limitant la marge de manœuvre des partenaires sociaux avec le principe de la libre détermination collective des conditions de travail prévu par le préambule de la Constitution de 1946. Du travail en perspective pour le Conseil constitutionnel et pour le législateur, qui devra prouver qu’une telle restriction est justifiée. Il semble bien peu probable que l’instauration d’une égalité par le bas entre fonctionnaires et salariés invoquées par certains députés puisse constituer une justification recevable.
Imposer un délai de carence universel pour les arrêts autodéclarés pourrait paraitre reposer une raison objective, puisqu’il s’agit d’éviter les abus. Mais quid lorsque l’arrêt a bien été prescrit par un médecin ? A moins de partir du principe que l’avis médical n’a plus de valeur ou est par nature frauduleux, interdire l’indemnisation revient à nier le contenu d’une prescription médicale jugeant que le salarié ne peut travailler. Comme l’évoquent avec justesse certains syndicats, des salariés qui ne sont pas aptes à tenir leur poste risquent tout de même d’aller travailler pour éviter une perte de salaires, quitte à ce que leur état se dégrade (et nécessite un arrêt prolongé, qui sera négatif pour tout le monde).
négatif pour tout le monde). Et puis, quid des arrêts liés à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ? Ceux-ci seront-ils soumis à ce délai de carence universel ? Priver d’indemnisation les salariés dont la santé est affectée par son emploi sera assurément contestable et contesté.
Prochain épisode : la suppression d’un jour férié supplémentaire
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