Le non-respect de l’équilibre hommes/femmes sur une liste électorale n’entraine pas la perte de la représentativité pour le syndicat contrevenant ! Un récent arrêt de la Cour de cassation permet de réviser quelques règles et principes sur cette problématique revenant à chaque nouvelle élection de CSE.
Il est fascinant de voir à quel point certains employeurs sont pointilleux sur les questions d’égalité femmes/hommes lorsqu’il s’agit des listes pour les élections du CSE. La jurisprudence nous offre une nouvelle illustration avec un employeur demandant ni plus ni moins qu’une question prioritaire de constitutionnalité pour contester l’élection de l’unique membre de son CSE. On aimerait voir une telle débauche d’énergie sur les questions d’égalité salariale…
Pour une représentation équilibrée des fruits et des légumes sur les listes de courses
Il faut savoir admirer les juristes créatifs, et l’affaire jugée par la Cour de cassation a pour protagoniste un syndicat (et surtout l’une de ses membres) dont l’habileté est remarquable. Le décors est simple et parlera à de nombreux aspirants au CSE au moment ceux-ci souhaitent préparer leurs listes. Le syndicat est confronté à la double difficulté, 1) de trouver des candidats motivés par l’amour du mandat, 2) de trouver des candidats permettant de composer une liste conforme au texte de l’article L. 2314-30 du Code du travail. Ce petit texte suscite régulièrement quelques belles prises de têtes dans les bureaux syndicaux. En effet, il prévoit que, pour chaque collège électoral, les listes qui comportent plusieurs candidats doivent être composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont par conséquent composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes.
En résumé, les listes électorales doivent refléter la proportion de salariées et de salariés présents dans l’entreprise. Une gageure lorsque le candidat se fait rare. Le point technique : on ne parle pas de parité, mais de représentation équilibrée. Nuance.
Dans notre cas, l’entreprise comptait 70% de femmes, et le CSE comptait trois sièges. Il fallait donc deux femmes et un homme sur les listes de candidats.
Tout de suite, une manœuvre sioux vous vient à l’esprit : aligner des listes d’un seul candidat, pour contourner l’impératif de représentation équilibrée. Las, le Code du travail impose aux syndicats de présenter au minimum deux candidats s’ils choisissent d’aligner une liste incomplète, comptant un candidat de chaque sexe. Cette interdiction ne concerne cependant pas les candidatures libres pouvant être présentées au second tour. Les candidats non syndiqués n’ont ainsi pas à se réunir en duo.
Refusant de se conformer aux règles, le syndicat de l’affaire a décidé de présenter au premier tour une liste comportant une seule candidate. Sachant pertinemment que cette candidature serait annulée, le candidate en question s’est représentée au second tour, en candidature libre.
En matière d’élection du CSE, on peut, en synthétisant à l’extrême, dire que deux sanctions pèsent sur les candidats qui ne respectent pas les règles.
Tout action pouvant porter atteinte à la sincérité du résultat de l’élection entraine en principe la nullité du scrutin. C’est un principe issu du droit électoral, on gomme tout et on recommence à zéro.
En cas de non-respect du principe de représentation équilibrée des hommes et des femmes, l’article L. 2314-32 du Code du travail prévoit uniquement l’annulation de l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté. Concrètement, votre liste devait comprendre un homme et une femme, elle comprend deux hommes, elle a été élue, si elle avait respecté la règle, le deuxième salarié n’aurait pas dû être élu, son élection est donc annulée. Il ne reste ainsi qu’un survivant.
Si on revient à notre affaire, présentée une liste individuelle aurait dû avoir comme sanction l’annulation de l’élection de son unique candidate. Cependant, l’élection soulevait un autre enjeu…
Car c’est l’enjeu du premier tour ! C’est à ce moment que la représentativité des syndicats est appréciée. Dans notre cas, le syndicat faisait face à un sacré dilemme. Il ne pouvait présenter une liste individuelle au premier tour sous peine d’annulation. Cependant, si l’unique candidate attendait le second tour, où elle pouvait se présenter seule, elle ne pouvait obtenir la représentativité pour son syndicat.
D’où cette manœuvre, se présenter au premier tour, quitte à voir son élection annulée tout en obtenant la représentativité, puis au second tour, pour être cette fois élue au CSE. Pour ce faire, le syndicat s’appuie sur l’interprétation stricte du texte. Le fait de présenter une liste irrégulière entraine l’annulation de l’élection des candidats qui n’auraient pas dus être sur la liste (ou même de la liste s’il n’y qu’un seul candidat), mais ne prévoit pas la perte de la représentativité acquise par le syndicat.
La représentativité : le sésame, le Graal, pour tout syndicat. Être représentatif est le laisser passer permettant aux syndicats de négocier et signer des accords dans l’entreprise, et d’être même l’interlocuteur exclusif de l’employeur en la matière. Pour devenir représentatif, il faut notamment obtenir 10% des suffrages exprimés au premier tour des élections du CSE. |
Scandalisé par un tel stratagème, l’employeur décide alors de contester l’élection du syndicat. Il met en avant que la sincérité même du scrutin est affectée, car la candidate n’aurait jamais dû pouvoir se présenter, et le syndicat devenir représentatif. Pour enfoncer le clou, il demande en parallèle à la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel pour évaluer si les sanctions prévues en cas de non-respect de l’équilibre femmes/hommes sont suffisantes.
Quand même gonflé L’employeur, qui voulait obtenir l’annulation des élections, empêcher un syndicat de devenir représentatif, et in fine empêcher ses salariés d'être représentés, a argué dans sa demande de question prioritaire de constitutionnalité que la sanction limitée du non-respect de l’équilibre hommes/femmes portait atteinte au droit des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail… Il fallait oser. Dans un arrêt distinct, la Cour de cassation a cependant rejeté la demande de transmission formulée par l'employeur, estimant la sanction prévue par le Code du travail suffisante. |
La Cour de cassation écarte l’argumentation de l’employeur, considérant que le Code du travail ne prévoit pas de conséquence sur la représentativité en cas de non respect des règles relatives à la représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes électorales.
Ainsi, le fait pour un syndicat de présenter une liste irrégulière au premier tour n’a pas d’impact sur l’acquisition de sa représentativité, même si cela peut entrainer l’annulation des candidats surnuméraires.
Si le CSE nouvellement élu (soit son unique membre) est taquin, et vu l’attachement de l’employeur à l’égalité entre hommes et femmes, on gagera qu’il mettra la question de l’index égalité à l’ordre du jour de la première réunion.
Les références de l'arrêt : Cour de cassation, 10 octobre 2024, n°23-17.506
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